Le secteur de la construction en quête de neutralité carbone : le rôle de la data
Face à l'urgence climatique, les acteurs du secteur de la construction se mobilisent pour réduire leur empreinte carbone. Nous abordons dans cet article le rôle de la data dans cette quête de neutralité carbone et ses limites.
La digitalisation et l’exploitation intelligente des données matériel jouent un rôle crucial dans l'atteinte des objectifs de neutralité carbone. Mais les nouvelles technologies n'auront pas automatiquement l’effet escompté du seul fait de leur mise en œuvre.
Pour exploiter la puissance des données relatives aux équipements, il est essentiel de concevoir des solutions qui peuvent contribuer de manière proactive à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone. Cependant la majorité de ces solutions repose sur la donnée, élément fondamental dans cette quête de la neutralité. Que faut-il faire dans ce cas pour garantir l'accès, l'exploitation, la normalisation et le partage des données ?
Cet article reprend l’intervention de notre CEO et co-fondateur Clément Bénard, lors du panel sur la quête de la neutralité carbone au forum Bauma en octobre. Ce panel comprenait d’autres acteurs de l’écosystème : Nils Vidar Rystad, de la ville d'Oslo et de Big Buyers Initiative, Eugen Schobesberger, Liebherr d’Earthmoving Equipment et Chairman de CECE, John Smeets, de Boels Rental et de l'Association européenne de location.
Roadmap vers la neutralité carbone, quel est le rôle des données ?
Réduire son empreinte carbone ? C’est avant tout la mesurer… grâce à la donnée
Les objectifs de décarbonation, c'est-à-dire la baisse des émissions de CO2, s'imposent de plus en plus fermement aux entreprises du secteur de la construction. Mais la trajectoire vers la réduction des émissions est assez complexe, en raison des diverses sources de données matériel. Réduire, c'est avant tout mesurer.
Cela étant, connaître le niveau d'émissions d'un parc mixte d'équipements de construction est relativement difficile. Les entreprises de construction doivent mesurer et collecter des informations pour chaque actif, chaque chantier, chaque catégorie d'équipement. Le faire manuellement ne suffit pas à garantir des mesures pertinentes, étant donnée la complexité du contexte, la multiplicité des équipements, des entreprises et autres partenariats.
Rien de tel que les supports digitaux pour générer des données régulièrement, offrir une vision globale et créer ainsi un plan de réduction.
Les limites du modèle actuel ? Aller plus loin avec la donnée (Exemple du carburant)
Chez Hiboo, nous avons passé beaucoup de temps à interroger des managers, des directeurs et des PDG pour comprendre de quelle manière ils mesurent les émissions de CO2 de leurs équipements. La réponse la plus courante est… de partir des factures de carburant. Bien que cette méthode leur donne une vue d'ensemble des émissions de leurs actifs. Cette donnée, par défaut non agrégée, ne rend pas compte de toutes les informations relatives au contexte d'utilisation, et ne permet pas de ce fait, de détecter les émissions les plus importantes, ni les axes d’amélioration.
Comment assurer l'accès à des données de qualité et effectuer des mesures pertinentes ?
Comme indiqué plus haut, la digitalisation représente un facteur clé dans la transition bas carbone. Les engagements ambitieux de décarbonation exigent un virage dans l'approche de la standardisation des données des équipements, afin d'en révéler la valeur maximale.
La standardisation des données consiste à convertir les données dans un format commun, pour permettre aux différents utilisateurs de les traiter et de les analyser.
La standardisation doit être optimisée en tenant compte de ces trois critères :
1. L'accès aux données
Les normes et standards existants, tels que la norme ISO/TS 15143-3 de l'AEMP, sont importants pour faciliter l'accès aux données. En dépit de ce cadre structurant qui représente un progrès important, beaucoup de données restent non structurées pour les entreprises de construction. Par conséquent, la collecte et le traitement des données brutes ne sont pas faciles.
- Seuls 21% des exploitants affirment que toutes leurs données sont standardisées.
- Seuls 17% des exploitants affirment disposer d'une terminologie standardisée qui permet aux utilisateurs de suivre les informations de manière cohérente et précise.
- Près de la moitié (47%) des exploitants relèvent un manque de clarté des données, empêchant ainsi une analyse pertinente. C'est l'un des plus grands défis à relever au moment de la collecte, de la gestion et de l'analyse des données de construction.
Pour favoriser l'accès aux données, il convient d'aller au-delà des normes existantes dans le domaine des équipements lourds, telles que la norme ISO/TS 15143-3 de l'AEMP. La construction d'une infrastructure de référence fiable s'impose. Tous les acteurs concernés doivent s'entendre ( OEMs, Télématiciens, etc.) pour démocratiser les données, produire des données à caractère universel, et les faire évoluer en permanence. Par exemple, les constructeurs doivent définir des éléments et des attributs clairs et cohérents, fournissant un catalogue complet de données, afin que toutes les parties prenantes puissent en bénéficier pour obtenir des informations exploitables.
2. La propriété des données
Face à la quantité importante des données émises par les équipements sur un site de construction, la notion de propriété demeure néanmoins épineuse : à qui appartiennent les données sur les équipements ?
L’enjeu est crucial pour l'industrie de fabrication des équipements, mais aussi pour les futurs propriétaires. Les OEMs (les constructeurs d’équipements) ne sont pas systématiquement disposés à partager l'accès aux données à large échelle en raison de :
- Une structure de distribution complexe (OEMs > siège local > concessionnaires...).
- Un processus et des outils numériques pour délivrer les identifiants d'API eux aussi complexes et irréguliers.
Plusieurs acteurs s'accordent à dire que les données générées par un équipement appartiennent à son propriétaire. Cela ne signifie pas que les constructeurs ne sont pas autorisés à y accéder, à condition de s'assurer qu'ils ont le cadre adéquat pour le faire.
3. La normalisation des données
En l'absence de normes, il n'existe pas de définitions ou de règles communes chez les constructeurs pour définir la manière dont une donnée est calculée ou saisie.
Par exemple, le taux de ralenti est mesuré par un constructeur à partir du moment où le frein à main est actionné, alors que son homologue procédera autrement. Voilà où se situe la difficulté : il est impossible d'avoir une mesure standard de différentes données. Sans une formule unique, les acteurs ne peuvent pas mesurer correctement leurs données, ni les comparer à celles qui existent sur le marché́.
Pour faire évoluer le secteur vers une approche plus uniforme, plusieurs actions sont nécessaires :
- Exploiter les API ouvertes et adopter une méthode fondée sur les données de référence.
- Accroître la synergie dans la définition des données clés
- Rendre le processus de délivrance des accès moins compliqué et plus rapide
- Promouvoir l'accès aux données pour limiter les plateformes de données propriétaires et à source unique.
4. Le partage des données
De multiples partenaires différents sont impliqués dans un projet de construction. Les principaux acteurs sont les clients, les sous-traitants, les fournisseurs et les autres partenaires. Dans la plupart des cas, un parc matériel est une somme d'équipements provenant de différentes entités. Un même chantier de construction regroupe souvent des équipements détenus, loués ou sous contrat. Cela implique d'instaurer un dialogue ouvert entre les différents acteurs et de partager les données pour avoir une vision complète et réelle de l’état du parc.
Pour avoir une vision globale des émissions de carbone, il est donc essentiel d'accéder aux données relatives aux équipements de toutes les parties prenantes, telles que les exploitants, les sous-traitants ou les sociétés de location. Des mesures précises requièrent un accès partagé à des données standardisées.
Dans le cas d'une location, comment accéder aux données des équipements loués ? Comment un exploitant peut-il rendre compte de ses émissions de carbone ? Pour effectuer son analyse, un exploitant a besoin des données de consommation des équipements qu'il possède, mais aussi de ceux qu'ils loue. Il est clair qu'il ne peut dresser son bilan carbone sans la contribution de ses fournisseurs.
L'absence de ce consensus est l'une des principales raisons pour lesquelles le secteur de la construction est en retard en ce qui concerne la transition numérique, en raison du manque d'alignement entre les différents acteurs. Le marché est très fortement fragmenté. Le défi est de construire un bien commun autour des données.